Portrait d'un inconnu by Nathalie Sarraute

Portrait d'un inconnu by Nathalie Sarraute

Auteur:Nathalie Sarraute
La langue: fra
Format: epub
ISBN: a5783b14b60444d2682689f859ff85e02fee7bb4
Éditeur: Editions Gallimard
Publié: 2016-02-11T05:00:00+00:00


Comme le sang gonfle les artères, bat aux tempes et pèse sur le tympan quand la pression de l'air ambiant devient moins grande, ainsi la nuit, dans cette atmosphère raréfiée que fait la solitude, le silence – l'angoisse, contenue en nous dans la journée, enfle et nous oppresse : c'est une masse pesante qui emplit la tête, la poitrine, dilate les poumons, appuie comme une barre sur l'estomac, ferme la gorge comme un tampon... Personne n'a su définir exactement ce malaise étrange.

Des coups frappés quelque part au fond de nous, des coups étouffés, menaçants, semblables aux battements sourds du sang dans les veines dilatées, nous réveillent en sursaut. « Mes réveils de condamné à mort », c'est ainsi qu'il les appelait, ces réveils anxieux qui le faisaient se dresser sur son lit au petit jour, c'est ainsi qu'il en parlait, je m'en souviens, au temps où il mettait sa coquetterie à se parer de cela : sa sensibilité si délicate, son inquiétude de bon aloi... « Mes réveils de condamné à mort... »

Étendu tout pantelant sur son lit, on s'aperçoit petit à petit, comme l'œil qui s'habitue à la pénombre commence à distinguer peu à peu les contours des objets, qu'il y a, provoquant ce gonflement, ces élancements sourds, quelque chose, un corps étranger qui est là, fiché au cœur de l'angoisse, comme l'épine enfoncée dans la chair tuméfiée, sous l'abcès qui couve. Il faut extirper cela absolument, le sortir le plus vite possible pour faire cesser le malaise, la douleur, il faut chercher, creuser, comme on fouille la chair impitoyablement avec la pointe d'une aiguille pour en extraire l'écharde.

Elle est là, plantée au cœur de l'angoisse, un corpuscule solide, piquant et dur, autour duquel la douleur irradie, elle est là (parfois il faut tâtonner assez longtemps avant de la trouver, parfois on la découvre très rapidement), l'image, l'idée... Très simple d'ordinaire et même un peu puérile à première vue, d'une un peu trop naïve crudité – une image de notre mort, de notre vie. C'est elle que nous trouvons le plus souvent, notre vie, comprimée, resserrée sur un espace réduit, pareille à ces vies telles qu'on nous les présente parfois dans les films ou les romans, figée en un saisissant raccourci, barrée durement de dates (vingt ans déjà... trente ans... le temps écoulé... la jeunesse gaspillée... finie... et au bout l'échéance finale...), une image d'une effrayante netteté dont les ombres et les lumières ressortent accentuées, condensées comme sur une photographie tirée à format réduit. Notre vie, non pas telle que nous la sentons au cours des journées, comme un jet d'eau intarissable, sans cesse renouvelé, qui s'éparpille à chaque instant en impalpables gouttelettes aux teintes irisées, mais durcie, pétrifiée : un paysage lunaire avec ses pics dénudés qui se dressent tragiquement dans un ciel désert, ses profonds cratères pleins d'ombre.

Il peut parader, je le sais, il peut étaler, avec une apparence de vraisemblance, devant l'adolescent crédule, sa sérénité, son détachement : voilà assez longtemps déjà que ce n'est plus elle, cette image, qu'il retrouve et ramène au-dehors quand il sonde son angoisse.



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